L’insolente santé du marché des logements anciens, c’est-à-dire de la revente des logements existants, occulte presque le malaise sans précédent du logement neuf dans notre pays. Les experts et les observateurs de ce secteur d’activité majeur, tant pour l’emploi que pour la satisfaction des ménages, voient bien, eux, la situation et elle est hautement inquiétante. Les chiffres sont sans appel: en 2021, on ne devrait pas produire plus de 320 000 logements d’après le ministère, 300 000 selon les promoteurs. Les prévisions dans ce domaine ne relèvent pas de l’art divinatoire: on sait combien de demandes de permis de construire ont été déposées en 2019 et 2020, on connaît assez finement le taux de chute et on peut en déduire le nombre de mises en chantier pour cette année. Les différences d’appréciation de l’ordre de 5 à 10% sont tolérables, mais elles ne changent pas le diagnostic: la France est à l’étiage.
Il faut remonter trente ans en arrière pour trouver ces chiffres... dans un pays dont la population a augmenté entre-temps de 11 millions d’habitants et dont la sociologie de la population a évolué de façon radicale, avec du nomadisme professionnel, des séparations plus fréquentes au sein des couples, des familles recomposées, des décohabitations précoces ou encore une immigration endémique. En clair, là où une production annuelle de 300 000 logements suffisait dans les années 90, elle nous place dans une situation dramatique aujourd’hui, et pour plusieurs années: relancer l’appareil de production qui n’a cessé de ralentir depuis 2017 prendra du temps. Or, on estime à 450 000 le nombre de logements nécessaires aujourd’hui, sinon à 500 000, offre sociale et offre privée comprises, logements collectifs et maisons compris.
Comment en est-on arrivé là? La covid est-elle en cause? Résolument non: les chantiers ont été ralentis et enchéris à cause des précautions sanitaires, mais la production a continué. La cause majeure du ralentissement des mises en chantier tient à la dégradation des relations entre l’État et les collectivités locales en général, les communes en particulier. C’est ce que les Français ont tous accueilli comme la première bonne nouvelle du quinquennat, la suppression de la taxe d’habitation, qui a mis le feu aux poudres. En privant les maires de la maitrise de 34% de leurs ressources, et de leur capacité à développer infrastructures et services, elle les a inclinés à ne plus vouloir déployer leur ville. Voilà comment les permis de construire se sont essoufflés. Certes, la vague verte aux élections municipales a accentué le phénomène: désormais, dans nombre de villes, l’exigence écologique est venue remettre en question des projets de promotion, mais cette situation est seulement venue s’ajouter aux embarras précédents.
Il faut citer aussi au rang des causes l’inflation foncière galopante depuis deux décennies, que les politiques publiques n’ont jamais su juguler. Elle a fini par rendre intenable l’équilibre économique de certaines opérations, auxquelles les promoteurs ont préféré renoncer parce que les prix de sortie n’auraient pas rencontré de demande solvable.
Enfin, les obstacles à la construction n’ont fait que se multiplier au cours des années récentes. On ne parle que peu des enquêtes publiques qui retardent et compromettent des projets de promotion au motif que telle agence doit vérifier qu’ils ne menacent pas la nappe phréatique ou telle catégorie d’insectes ou d’oiseaux. On parle sans cesse de simplification des normes, passées de 6000 à 8000 en dix ans, et on ne le fait pas... Le débat sur l’irréalisme de la RE 2020 est toujours ouvert. On parle aussi, mais comme pour s’en accommoder, des recours judiciaires intentés par les tiers, intéressés à agir ou pas, contre les projets de construction au cœur de nos communes. Après le durcissement de la règlementation, notamment dans la loi ALUR de 2014, il reste que 20 000 logements ne sortent pas de terre chaque année à cause de ces actions, souvent malveillantes, provoquées par des associations calculatrices et cupides plus que par des riverains vraiment lésés.
Un espoir : la mission confiée par le gouvernement à François Rebsamen, maire de Dijon, ancien sénateur, ancien ministre, de proposer au plus tard à la rentrée des solutions au recul de la construction, en particulier dans les zones tendues. Dès l’annonce de sa composition, elle a fait l’objet de critiques: ni les architectes ni les constructeurs de maisons individuelles n’en font partie. Le second manque est très regrettable: les Français continuent pour les 3/4 d’entre eux de souhaiter ce type d’habitat et de mode de vie, et c’est le segment qui a le mieux résisté dans cette descente aux enfers de la construction neuve: en 2020, 165 000 maisons ont été bâties. Dans le même temps, c’est sur ce produit phare que pèse la plus lourde hypothèque liée à l’impératif de zéro artificialisation nette à l’échéance 2050 et de frugalité foncière immédiate. Comment conjoindre le respect de ces exigences avec la prise en compte des désirs de l’écrasante majorité des Français? Il faudra que la commission Rebsamen ne fasse pas l’impasse sur ce sujet crucial, pour la filière professionnelle bien sûr, pour l’équilibre de la démocratie surtout, qui ne peut négliger les aspirations de la population.
Créer les conditions du dynamisme de la construction neuve sera un enjeu de la campagne présidentielle. Les acteurs de l’immobilier n’ont pas eu le sentiment depuis le début du quinquennat et de la législature que le logement avait compté parmi les premières préoccupations politiques, et ils entendent que la séquence suivante soit plus attentive à la satisfaction des besoins des Français.
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