Construction de logements neufs: une clé essentielle de la transition écologique
Tribune de Bertrand Mulot
La production résidentielle neuve est affaiblie dans notre pays, sous plusieurs effets conjugués, structurels et conjoncturels. On connaît les freins qui la ralentissent depuis longtemps, et dont la force s’est accentuée au cours des années récentes. La rareté du foncier disponible, qui a fait monter les prix, est encore majorée par la politique de sobriété foncière, qui incline les maires à la parcimonie dans la délivrance des permis de construire pour ne pas consommer de foncier et ralentir d’ores et déjà l’artificialisation. D’ailleurs, les maires avaient déjà le réflexe pour beaucoup d’entre eux de ralentir la construction dans leur commune… Leur malthusianisme a été dénoncé, au point de leur faire porter un peu vite toute la responsabilité: les transferts de charges de l’État vers les collectivités locales ou encore la fin de la taxe d’habitation, principale ressource des communes, insuffisamment compensée, ont conduit les élus à la prudence au moment de faire arriver de nouveaux ménages, demandeurs de services, impossibles à financer. Sans compter la pression des habitants, qui veulent des logements pour eux et leurs enfants, mais qui refusent un immeuble de plus dans leur champ de vision. L’exigence des normes de fabrication a également été montrée du doigt.
Et puis bien sûr, l’inflation est venue dès la mi 2022 tout dérégler. Elle a fait exploser le prix des matériaux et les promoteurs et constructeurs ont vite préféré ne pas lancer de chantiers nouveaux dont les prix de sortie des logements auraient excédé la capacité contributive des ménages. Elle a aussi désolvabilisé les Français, en éprouvant les budgets domestiques et en faisant monter les taux d’intérêt des crédits immobiliers.
L’État doit agir d’urgence pour que la production de logements reparte, qu’il s’agisse d’immeubles collectifs ou de maisons individuelles, pour une raison essentielle: le parc existant ne peut seul répondre aux besoins. Tout se passe depuis la loi Climat résilience comme si l’ancien rénové, mobilisé -pour la partie vacante- était l’alpha et l’omega de la politique du logement. On sait que ce n’est pas le cas. On oublie en outre, et c’est peut-être au fond l’essentiel, que seule la production neuve place le pays résolument et sans faille sur l’orbite de la transition environnementale: parce qu’ils sont bâtis selon des normes prenant en compte l’impérieuse nécessité de performances écologiques élevées, les immeubles et les maisons neufs sont d’emblée sur le versant de la mutation environnementale. Certes, l’empilement des normes techniques est coupable et l’excès ou l’illisibilité ont abouti à ralentir et à enchérir la production: il n’est pas question de nier ce défaut. Il est néanmoins question, du point de vue du consommateur et des décideurs publics, de mesurer la qualité environnementale des logements neufs, et ce depuis une génération, c’est-à-dire depuis vingt ans. Les logements livrés dans cette période sont de toute façon très bien classés dans l’échelle du diagnostic de performance énergétique (DPE) et ils répondent aux standards que le pays s’est assigné comme références à atteindre à l’échéance 2050, à savoir la norme BBC. Sont visées les lettres A et B du DPE. Les logements qui seraient classés C, renvoyant aux normes et aux générations antérieures, peuvent quoi qu’il en soit être remis à niveau à moindres frais. On est loin des efforts techniques et financiers imposés par les logements existants, dont les mieux classés sont en catégorie D, et la plupart des autres en E, F et G. Si l’on traduit, les logements neufs sont sobres par construction et les factures y sont deux, trois ou cinq fois moindres que dans le parc existant: l’écart type, négligeable quand rien n’est cher, est différenciant quand tout est cher, et en particulier toutes les énergies.
L’argument du modernisme des normes n’avait absolument pas la puissance qu’il a depuis non seulement les obligations légales récentes, interdictions de louer ou encore plan pluriannuel de travaux et épargne forcée pour les copropriétés, mais surtout l’augmentation indécente du prix des énergies. Les promoteurs et les constructeurs sont même encore trop timides pour valoriser la vertu de leur production. Ils ont beaucoup stigmatisé la complexité et le coût de ces normes, qu’ils ont finalement digérées, et n’ont pas assez mis en avant leur bénéfice pour leurs utilisateurs. C’est aussi l’espoir de valorisation qui saute aux yeux désormais. On en doutait objectivement naguère, notamment en arguant de l’assujettissement à la TVA et de la probabilité économique de perte en valeur dès la première revente. On soutenait qu’il fallait attendre dix ou vingt ans pour que le mécanisme de la plus value reprenne ses droits… Le neuf prend sa revanche: il est affecté d’une valeur intrinsèque supérieure du fait de sa vertu énergétique. À l’inverse, les logements existants, même en zone tendue, pâtissent de leur moindre qualité écologique et les prix ne peuvent plus ne pas répercuter ce défaut relatif, en intégrant tout ou partie du montant des travaux correctifs nécessaires.
Ce n’est pas tout. L’heure est à l’intégration dans les logements des valeurs de responsabilité qui inspirent les politiques publiques et les comportements. L’accessibilité des logements aux personnes à mobilité réduite, ou encore la présence d’espaces verts, parti pris des promoteurs et par essence des constructeurs de maison individuelle, sont aujourd’hui des critères fixés par les ménages eux-mêmes. Toutes les enquêtes le révèlent. Le rapport des Français à leur logement a évolué dans ce sens et la pandémie n’a fait que catalyser des tendances profondes, dont on n’a pas su lire les signaux faibles. En fait, le logement exprime la quête de sens, qui se décline en mieux vivre chez soi et en mieux vivre ensemble. Les producteurs de logements neufs, aidés en cela par les architectes, sont dans ce mouvement depuis au moins une vingtaine d’année et plus encore depuis dix ans.
Bref, la relance de la construction résidentielle n’a pas seulement une dimension économique et quantitative, évidemment majeure. Elle porte aussi un enjeu de société. Le logement est à cet égard un fer de lance, exemplaire et emblématique. Il est temps de le réaliser.