Mer et Nucléaire : Vers une Synergie Durable
Découvrez la Parole d'experts Bessé, suite au dernier événement « Mer & Nucléaire », sur les enjeux de décarbonation et les avancées technologiques liées à la propulsion navale et aux petits réacteurs modulaires (SMR), dans le cadre du plan France 2030.
À l'issue de l'événement « Mer & Nucléaire : les opportunités », qui s'est tenu le 3 octobre 2024, trois experts Bessé ont eu l'opportunité d'explorer les synergies entre le secteur maritime et le nucléaire. Cet événement, organisé par des acteurs clés tels que le GICAN, le GIFEN, le Pôle Mer Bretagne Atlantique et Nuclear Valley, en partenariat avec Armateurs de France et Neopolia, a permis de mettre en lumière les enjeux cruciaux de décarbonation et les avancées technologiques prometteuses dans le cadre du plan France 2030.
La convergence entre la propulsion navale, notamment à travers les réacteurs à eau pressurisée miniaturisés et les réacteurs de 4ème génération, ainsi que le développement des petits réacteurs modulaires (SMR), ouvre un vaste champ de possibilités pour répondre aux défis énergétiques actuels. En tant qu'experts dans leurs domaines respectifs, nos collaborateurs partagent leur vision et leurs réflexions sur les enjeux abordés lors de la conférence, ainsi que sur les perspectives qu'offre cette collaboration entre le maritime et le nucléaire.
Quelles sont les pistes/solutions envisagées pour atteindre les objectifs de décarbonation ?
Le transport maritime représente plus de 80 % des flux logistiques mondiaux et contribue à environ 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Sans action de décarbonation, la part du secteur maritime dans les émissions mondiales de GES pourrait atteindre 90 à 130 % des niveaux de 2008 d'ici 2050. L'Organisation maritime internationale (OMI) s'est engagée à réduire de 50 % les émissions de GES du secteur d'ici cette date. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d'agir sur deux leviers : d'une part, les modes de propulsion des navires, et d'autre part, l'alimentation électrique des navires au port.
La décarbonation du secteur maritime est en marche, et il n'existe pas de solution unique pour atteindre ces objectifs. Les solutions dépendent des spécificités des installations portuaires, des types de navires et de leur mission. Des actions immédiates, telles que l'amélioration de l'efficacité énergétique des infrastructures actuelles et l'optimisation de l'utilisation des navires (y compris l'optimisation des routes et de la vitesse), sont déjà en cours. Cependant, d'importants investissements dans de nouvelles énergies et technologies sont indispensables pour réduire notre empreinte carbone. Dans ce contexte, l'énergie nucléaire, qui offre une source d'énergie décarbonée, apparaît comme une solution particulièrement intéressante.
Quelles sont les opportunités ?
Parmi les solutions envisagées, la propulsion nucléaire apparaît particulièrement adaptée aux plus grands navires, tels que les porte-conteneurs, les ferrys et les paquebots. Nous ne partons pas d’une feuille blanche, car la propulsion nucléaire équipe déjà, et ce depuis longtemps, les sous-marins et les porte-avions des grandes marines occidentales. Pour équiper les ports, le développement rapide des projets de petits réacteurs modulaires (SMR) offre une solution techniquement crédible.
L’électrification des ports, permettant de raccorder les bateaux une fois à quai (et donc de ne plus faire fonctionner les groupes électrogènes embarqués), est un enjeu majeur de la décarbonation du secteur maritime. Des actions ont déjà été lancées, avec d’importants travaux en cours à Marseille et à venir au Havre pour connecter ces ports au réseau électrique existant. Je vois dans ce domaine de l’électrification des ports — et des grands centres industriels en général — une belle opportunité pour les SMR. Avec une technologie maîtrisée, compacte (avec une empreinte au sol réduite) et intrinsèquement sûre, les SMR semblent avoir un avenir prometteur dans ce secteur. L’augmentation des besoins en électricité dans tous les domaines nécessitera des investissements considérables, et les ports, étant en bout de ligne électrique, ont tout intérêt à devenir les plus autonomes possibles. De plus, la production d’électricité décarbonée par les SMR pourrait également contribuer à la fabrication d’e-carburants pour les navires, ce qui ouvre des perspectives intéressantes.
Quelles sont les difficultés ?
Les enjeux sont multiples. Il est évident que le développement des petits réacteurs modulaires (SMR) vise à équiper des navires sous différents pavillons ainsi que des ports dans divers pays. Les difficultés se concentreront d’abord sur l'établissement d'un référentiel réglementaire commun. À cet égard, il convient de noter que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française participe déjà à plusieurs initiatives internationales, telles que l’AIEA, l’AEN et WENRA, pour harmoniser les normes de sûreté au niveau mondial. Le référentiel réglementaire maritime devra également intégrer ce nouveau mode de propulsion pour les navires civils. Ce travail de fond est essentiel pour garantir l’acceptabilité sociale de ces solutions. D'autres défis doivent être rapidement relevés, notamment la nécessité de former des ressources humaines dans les secteurs liés à la conception, à la construction, à l’exploitation (conduite et maintenance) de ces SMR.
Je suis convaincu que toutes les difficultés trouveront des solutions bien définies. Les SMR basés sur des réacteurs nucléaires de troisième génération sont sur la bonne voie, certains pays ayant même lancé les premiers appels d'offres. Parallèlement, les projets utilisant des technologies à neutrons rapides (plomb, sodium, sels fondus, etc.) progressent également. Les solutions techniques seront donc au rendez-vous. De plus, l'État (instances de sûreté, DINN, HCEA, etc.) joue un rôle moteur et est activement mobilisé sur ce sujet. Les enjeux liés à la formation de ressources humaines compétentes pour la production et l'exploitation sont, me semble-t-il, pris en compte (l’INSTN, par exemple, double son nombre d’étudiants). Face aux objectifs énergétiques à atteindre, il est inimaginable que nous ne trouvions pas de solutions de financement et d’assurance. En tout cas, chez Bessé, nous travaillons déjà sur ces questions de solutions d’assurances.
Les enjeux du financement et de l'assurance
Le développement de ces nouveaux moyens nécessite des investissements significatifs pour l’ensemble de la filière. L’ONU évalue la décarbonation du secteur maritime à 30 milliards d’euros par an d’ici 2050, ce qui implique des investissements colossaux. En France, le plan « France 2030 », mis en place par l'État et doté de 54 milliards d’euros, s'inscrit dans la continuité de « France Relance ». Il vise à soutenir la réindustrialisation et la transition écologique à travers des projets innovants, y compris ceux liés à la filière nucléaire SMR et AMR. Ces dotations témoignent de la volonté de l'État de développer ces programmes et d’instaurer la confiance nécessaire auprès des investisseurs privés.
L’assurabilité des SMR embarqués ou en zones portuaires présentera des spécificités en raison de leur conception innovante et de leur intégration particulière dans le paysage énergétique. Parmi les principaux enjeux assurantiels identifiés, on peut relever les points suivants :
- Innovation technologique : En tant que technologies émergentes, les SMR susciteront des incertitudes et des interrogations de la part des assureurs concernant leur sécurité, leur fiabilité et les risques associés.
- Réglementations et conformité: Les SMR devront se conformer à des réglementations spécifiques, tant nucléaires que maritimes, qui varieront selon les pays. Les régimes de responsabilité pour les accidents nucléaires devront être clarifiés, en tenant compte des spécificités des SMR, qu'ils soient embarqués ou implantés à terre.
- Perception publique et acceptabilité sociale: La perception des SMR par le public et les communautés locales influencera fortement l'acceptabilité des projets.
- Flexibilité et modularité : Les caractéristiques modulaires des SMR et leur implantation en zones portuaires ou sur les navires affecteront l’appréciation des risques par les assureurs.
Les enjeux d’assurabilité seront cruciaux pour le lancement et le bon déroulement de ces projets industriels complexes, l’assurabilité étant une condition essentielle à l’obtention de financements. Ces projets d’envergure mobiliseront des capitaux et des investissements financiers importants (R&D, innovations technologiques, production en série, etc.). Les investisseurs et les assureurs ne se positionneront favorablement qu’après avoir évalué minutieusement les risques techniques et financiers des projets, ainsi que la solidité financière des acteurs impliqués (concepteurs, fournisseurs, exploitants…). C'est pourquoi il est crucial d'intervenir le plus en amont possible sur les enjeux assurantiels de ces projets.
Le secteur nucléaire est très réglementé et soumis à des normes de sécurité rigoureuses. L’assurabilité dépendra fortement du contexte réglementaire en place. Il sera primordial de disposer d'un cadre réglementaire adapté, stable dans le temps et homogène tant au niveau national qu’international, étant donné que les activités maritimes sont par nature internationales. Sans un cadre réglementaire structuré, les assureurs seront réticents à prendre en charge ces nouveaux risques, même si les risques techniques sont bien maîtrisés.
Concernant les projets innovants et très spécifiques, en particulier pour les SMR embarqués sur des navires, le placement des risques sur le marché de l’assurance ne pourra se faire qu’avec des dossiers techniques complets permettant une bonne appréciation des risques par les assureurs. En tant que courtier spécialiste des questions nucléaires, notre travail d'analyse des risques techniques, contractuels et financiers, ainsi que la phase de présentation et de pédagogie auprès des assureurs, seront déterminants pour garantir l’assurabilité de ces projets.
Plus de paroles d’expert Bessé
Toutes les actualités ne sont pas traduites