Nationalisations en Russie : une problématique nouvelle pour les entreprises
Par François Delteil
Nationalisations en Russie : une problématique nouvelle pour les entreprises
Danone et Carlsberg ont vu leurs actions dans leurs filiales russes confisquées et transférées à l’agence des participations de l’Etat russe par décret signé par le président Poutine le 16 juillet dernier. Il s’agit bien ici d’une nationalisation des actifs détenus par ces groupes en Russie.
Le contexte de cette nationalisation : la guerre que mène la Russie en Ukraine
Ce conflit a justifié la prise de sanctions économiques de la part de l’Union Européenne à l’égard de la Russie.
Dans le cadre de ces sanctions européennes et aussi des pressions de l’opinion, les groupes occidentaux présents dans le pays ont eu le choix d’y rester en continuant leurs activités locales ou de partir.
Les entreprises ayant poursuivi leurs activités n’ont pas fait l’objet d’atteinte à leur droit de propriété. En revanche, les entreprises qui ont choisi de quitter le pays ont subi des mesures de confiscation, alors même qu’elles étaient souvent en train de négocier un rachat de leurs actifs par un acteur local non soumis aux sanctions européennes. D’autres groupes, ayant directement négocié avec les autorités publiques, comme Renault qui a cédé ses parts dans Renault Russie et Avtovaz à des entités publiques russes, ont connu des pertes importantes – cession pour un rouble symbolique ou vente à prix cassé et soumise à taxation – mais n’ont pas été expropriés.
Ce contexte de nationalisation est assez nouveau
Les exemples les plus emblématiques par le passé répondaient à des logiques différentes :
Reprise de l’exploitation des richesses naturelles du pays, comme la compagnie pétrolière PDVSA au Venezuela en 1976, ou la nationalisation des mines de cuivre et de cobalt du Katanga par le gouvernement du Congo en 1967.
Politique sociale pour les besoins essentiels de la population, comme lors de la nationalisation d’Aguas de Argentina en 2006 par le gouvernement argentin ou la récente nationalisation de 13 centrales énergétiques par le Mexique.
Volonté de changer de société partenaire pour un nouveau gouvernement, comme pour la résiliation unilatérale de la concession du port de Conakry par le nouveau président Alpha Condé en 2011.
Les entreprises ont jusqu’à maintenant analysé leurs risques sur leurs investissements en fonction de ces antécédents historiques et, avant d’investir dans un pays, examinaient particulièrement la stabilité politique et sociale, la situation des finances publiques, la qualité des relations avec les autorités nationales et locales, les conflits d’intérêt potentiels. Ainsi, des polices d’assurance spécifiques permettent de couvrir les risques de pertes d’actifs consécutives à des crises politiques ou financières, ou à un changement de politique de l’Etat hôte.
Le cas russe met en lumière un nouveau risque croissant : la fragmentation politique du monde et l’emploi généralisé des sanctions économiques dans un contexte de rivalités politiques et économiques.
Pour une entreprise, la perte d’investissement dans un pays peut être déconnectée de la situation économique et politique du pays et des relations que cette entreprise entretient avec les autorités politiques. Cette perte peut être liée uniquement à un conflit ponctuel ou durable entre ce pays et le pays d’origine de l’entreprise, ou encore être liée à l’imposition de sanctions par un pays tiers comme par exemple les Etats-Unis capables d’infliger des sanctions économiques extra territoriales. Cette situation a déjà été vécue par les sociétés présentes en Iran et qui ont été tenues d’arrêter leurs activités après le rétablissement des sanctions sur ce pays par les autorités américaines en 2018.
Il est donc prudent, pour les entreprises qui analysent les risques liés à leur activité internationale, de bien intégrer le risque de sanctions éventuelles appliquées sur les pays où elles sont présentes. Le choix de souscrire une garantie d’assurance doit aussi tenir compte de cet élément, ainsi que la négociation des termes et conditions des textes de garanties qui n’avaient pas été conçus initialement pour intégrer ces situations de sanctions commerciales.